L'expression «oubli de soi» est à double sens : d'une part, elle signifie une forme de générosité empreinte d'amour qui amène à faire don de soi avec une présence si pleine qu'on s'oublie soi-même; d'autre part, elle désigne un mécanisme défensif par lequel, en s'occupant des autres avec excès d'effort et d'abnégation, on fait preuve de non-amour pour soi et de déni de soi.
Dans le premier cas, l'oubli de soi comble les besoins spirituels (qui n'ont rien à voir avec les dogmes religieux) de relations authentiques et profondes, de gratitude, le besoin d’aimer, d’offrir, d'être bienveillant, de servir, de rendre service, d’écouter, ces besoins chers aux soignants.
Dans le second cas, l'oubli de soi peut résulter d’un manque d’estime de soi, de la peur que l'autre souffre ou de la croyance qu'il est égoïste de prendre soin de soi. Votre valeur dépend alors de vos actions (vous donnez plus de valeur à vos actions qu’à ce que vous êtes) ou de la satisfaction des besoins des autres (vous êtes bien si l’autre est bien). Ces attitudes peuvent aller de pair avec un comportement de sauveur, fréquent chez les soignants.
« Le sauveur est celui qui souffre de la douleur de l'autre et de son incapacité à la faire disparaître. Pour éviter de souffrir lui-même d'impuissance, il tente de diminuer ou de déloger la douleur de l'autre en le protégeant, en le maternant, en le ménageant ou en le prenant en charge. » (Colette Portelance, Relation d'aide et amour de soi).
Alors on se néglige et on se sacrifie, et on se retrouve soi-même en situation de souffrance, comme l'explique le psychiatre Christophe André: « un « sauveur » peut générer un sentiment de culpabilité intense en raison du faible pouvoir que l’on a, en réalité, de résoudre l’ensemble des problèmes existants. A terme, la personne s’épuise et peut développer des symptômes dépressifs. » (Ces liens qui nous font vivre, p. 274-275)